L comme… Loyauté
Par Frédéric Sos - 1er février 2021
"Je l'ai fait pour ne pas déclencher de conflit et par loyauté pour mon DG"
Dans une précédente chronique (C comme… Cohésion), j'avais évoqué la réaction de ce membre influent d'une équipe dirigeante qui s'était associé à la mise en œuvre d'une stratégie pourtant vouée à l'échec. Confronté au constat de l'impact désastreux de son comportement (cette filiale ne s'est tirée d'affaire qu'au prix d'une intégration peu glorieuse au sein du Groupe qui détenait la minorité de blocage de son capital), il s'en était excusé de façon désarmante : "je l'ai fait pour ne pas déclencher de conflit et par loyauté pour mon DG".
Cette chronique a déclenché de nombreuses réactions où se mêlaient les notions de solidarité, de confiance et même d'honneur au sein d'une équipe dirigeante. Elles exprimaient des positions très hétérogènes dans l'appréciation de ces différentes notions… Pour certains, la loyauté au sein d'une équipe dépend de l'adhésion à des valeurs unanimement partagées ; pour d'autres, elle exige un engagement solidaire inconditionnel entre ses membres. Pour d'autres encore, elle émane d'un pragmatisme opérationnel partagé au service de la concrétisation d'une ambition commune. Certaines personnes l'associent à un alignement de subordination à l'égard d'une autorité. A l'opposé, une des réactions mettait l'accent sur l'existence d'un cadre "permettant l'expression d'un devoir de désobéissance quand les valeurs ou les intérêts de l'organisation sont menacées"…
Ce foisonnement d'approches pour une dimension aussi structurante au sein d'une équipe pourrait inciter ses membres à réfléchir ensemble et à formaliser une réponse commune aux deux questions suivantes : "Quelle importance accordons-nous à la loyauté dans notre fonctionnement d'équipe ?" et "comment souhaitons-nous que s'exprime notre exigence de loyauté entre nous ?"
En juillet 2007, nous sommes intervenus auprès du Conseil d'Administration et du Comité de Direction d'une association parentale dans le secteur médico-social. Le CA était majoritairement composé de "parents" (d'enfants porteurs d'un handicap) et le CoDir de "professionnels" pilotant l'activité d'une soixantaine d'établissements. Si le fonctionnement au sein de chacune des instances se révélait "habituel" pour ce type d'activités, les relations entre les deux instances étaient exécrables, en dépit des efforts conjoints déployés par le Président et le Directeur Général, ce qui posait des problèmes majeurs de gouvernance. Au-delà des difficultés, un point de convergence a constitué le point d'entrée de notre travail : la loyauté à l'égard du Projet Associatif. Nous nous sommes emparés de ce levier pour engager une démarche durant laquelle les membres de chacune des instances ont pu individuellement exprimer leur attachement au Projet et leur propre intention, ce qui a considérablement fait évoluer la qualité de leur fonctionnement et des relations entre eux. Cet exemple illustre une de nos convictions : la loyauté à l'Ambition d'une organisation constitue un pré requis à la qualité de fonctionnement d'une équipe dirigeante.
Adhérer à une stratégie (a fortiori à un simple plan d'actions) ne permet qu'une coordination sur le comment. Quand la stratégie doit évoluer, - et c'est un lieu commun d'en pointer la nécessité dans des périodes de transition - des désaccords émergent immanquablement quant aux orientations à privilégier. Les conflits, qui peuvent apparaître alors, compromettent l'adaptation de l'Organisation au sein de son environnement. L'adhésion au Projet (ou à l'Ambition, je ne fais pas la différence entre les deux), de l'ordre du "pour quoi faire", constitue probablement le meilleur niveau d'accostage des membres d'une équipe, et en garantit la solidité. L'axe stratégique apparaît alors, non comme une finalité, mais comme un levier de concrétisation, au service de la réussite de cette Ambition. En cas de désaccord sur le moyen à privilégier, la discussion peut naturellement s'orienter vers la recherche de la plus forte pertinence entre moyen et finalité : l'arbitrage est alors plus facile à expliciter, plus cohérent, et plus facilement accepté.
Il nous paraît essentiel de valoriser la loyauté de chacun à l'Ambition de l'organisation plutôt que la loyauté à l'égard de tel ou tel membre de l'équipe de direction.
La loyauté renforce également la robustesse du process de décision. Contrairement à la posture adoptée par le dirigeant cité au début de cette chronique, ne pas challenger la personne qui doit décider se révèle affreusement déloyal, dans la mesure où elle permet qu'une décision ne prenne pas suffisamment en compte un aspect de la question. La valeur ajoutée de l'échange - même confrontant - visant à alimenter la réflexion de la personne qui prend la décision est un marqueur (et peut-être même un gage) de loyauté. En revanche, à partir du moment où la décision est prise, son application sans délai constitue également un marqueur de la loyauté à l'égard de l'organisation (et pas seulement à l'égard de la personne qui l'a prise). Toute inertie dans sa mise en œuvre, même si elle peut s'expliquer par la frustration de n'avoir pas vu sa position finalement adoptée, érode l'efficacité de l'organisation et se révèle très déloyale. Le conseil parfois entendu d'"attendre le contrordre pour éviter le désordre" est totalement contre-productif, et compromet toute flexibilité. Il devient donc impératif de savoir différencier l'étape d'élaboration de la décision à celle de sa mise en application. Il appartient donc à la personne qui décide d'expliciter clairement le moment où la décision est prise, et où l'attente de loyauté conduit, non plus à la challenger, mais à la mettre en œuvre.