P comme... Problèmes
Par Frédéric SOS - 21 septembre 2019
"Nous sommes là pour régler les problèmes !"
...Est la réponse que j'ai obtenue il y a quelques semaines juste après avoir interpelé mon auditoire en introduction d'une conférence par un cavalier "pouvez-vous me dire à quoi vous servez ?".
La conférence, pompeusement intitulée : l'évolution des systèmes de gouvernance de l'entreprise, réunissait une soixantaine de dirigeants de PME-PMI d'un effectif généralement compris entre 100 et 600 personnes. Ma réponse "comme des garagistes, en somme" après les avoir fait rire a rendu perplexe quelques-uns.
La valeur ajoutée d'un dirigeant se nourrit-elle des problèmes qu'il rencontre, ou qui lui sont soumis, et qu'il saura résoudre ? Bien sûr, dans ce cas, son utilité ne fera aucun doute et il trouvera dans cette posture matière à exploiter son expertise. Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur l'apport de l'expertise à la légitimité du dirigeant.
Mais alors, compte-tenu de l'étendue des problèmes qui potentiellement peuvent se poser dans l'entreprise, ne risque-t-il pas d'y consommer toute son énergie ? Et de s'imposer rapidement comme la personne la plus à même d'intervenir quand quelque chose coince ? Les autres membres de l'entreprise comprendront alors que le meilleur moyen de régler un problème est de le faire remonter, et donc ainsi de se désengager personnellement. Voilà engagé le cercle vicieux qui le condamnera à s'impliquer fortement sur des sujets de plus en plus opérationnels, tout en déplorant le manque d'autonomie et d'engagement de ses collaborateurs...
Mais, pourriez-vous objecter, la taille "humaine" des entreprises dirigées par les personnes présentes cette soirée-là ne justifie-t-elle pas ce niveau d'implication opérationnelle ? Peut-être, et pourtant...
En 2007, le parc d'un groupe automobile, victime d'une erreur de prévision sur l'écoulement de certains modèles de sa gamme, grossissait. Les parkings extérieurs de stockage étaient saturés. Le président fut interpelé lors d'une convention sur le sujet et notamment sur le problème posé par la corrosion des disques de frein en fonte, visibles et donnant un mauvais aspect au produit pourtant neuf. Chaque automobiliste sait qu'il suffit en général de rouler avec la voiture quelques dizaines de mètres en donnant quelques légers coups de frein pour redonner au disque son aspect brillant, mais ce président, lui, n'appartenant pas au "sérail", ne le savait pas... Il a demandé si un autre matériau était utilisable; la réponse, mal intentionnée, l'a orienté vers le carbone, matière utilisée pour les voitures de compétition. Il a alors proposé d'étudier la question, mesurant mal l'énormité du surcoût généré pour régler ce "faux" problème. Il fut la risée de l'assemblée...
Je garde en tête l'exigence du fondateur et président de son Laboratoire éponyme qu'il formulait ainsi à son équipe de direction: "si un problème remonte jusqu'à nous, c'est que notre organisation n'a pas su le régler, c'est un indicateur de fragilité !". Je dois admettre que beaucoup l'ont perçue en interne comme une injonction à se débrouiller à leur niveau avec leurs ressources, mais cette exigence a également contribué à développer en interne un engagement hors du commun à régler les difficultés, qui se posaient au niveau de l'entreprise, là où elles se posaient.
Au-delà du risque de déresponsabilisation que nous venons d'évoquer, la question se pose également de mesurer l'efficacité d'une telle orientation de l'équipe dirigeante (le symptôme touche souvent toute l'équipe) à régler les problèmes.
En 2008, le comité de direction d'une entreprise industrielle, également dans le secteur automobile s'est fait présenter les résultats de l'enquête de satisfaction bisannuelle évaluant le niveau de satisfaction de ses clients à l'égard de son réseau. Ils étaient... très mauvais. Tellement mauvais que l'agenda de la réunion s'en trouva bouleversé et qu'il fut demandé au Comité de Direction de plancher immédiatement sur un plan d'action ? Ce qui fut fait, avec beaucoup de discipline et d'engagement, et à une vitesse impressionnante. En 1h30, "7 axes stratégiques d'actions" avaient été repérés (je reste étonné de la fréquence à laquelle ces deux mots, stratégie et action, sont associés, probablement pour que les faiblesses de l'un soient renforcées par les atouts de l'autre...); chacun de ces axes étant décliné par 5 actions emblématiques, toutes confiées à un "responsable" (il est à noter que seul un de ces responsables était dans la salle); et chacune de ces actions était bornée par une échéance à l'issue de laquelle il était impératif de la voir mise en œuvre. La cerise fut posée sur le gâteau par le directeur de la Qualité, tenant à expliciter la structure du tableau de bord, pivot d'un nouvel élément de reporting, destiné à contrôler le bon déroulement des actions décidées.
Les problèmes de perception du réseau venaient d'être réglés ! Le climat s'est subitement allégé, la satisfaction des membres de l'équipe était visible... Jusqu'à l'intervention du Directeur Industriel qui fit perfidement (mais pertinemment) remarquer que la réponse élaborée était strictement la même que celle apportée aux mêmes difficultés, deux années plus tôt, "avec les résultats que l'on sait". L'importun, casseur d'ambiance fut éconduit au prétexte que le contexte avait évolué, et que l'implication de chacun, cette fois, permettrait assurément d'obtenir un résultat différent... En 2010, l'entreprise communiqua sur les difficultés structurelles qu'elle rencontrait avec son réseau et la forte insatisfaction de sa clientèle qui en découlait.
Le plan d'action est la carte maîtresse des CoDir ayant l'ambition de "régler les problèmes". Beaucoup de ces équipes sont ainsi devenues expertes es plans d'action, dont la rapidité d'élaboration fait croire à la maîtrise du problème, et rassure généralement le plus grand nombre au sein et à l'extérieur de l'entreprise.
Si nous pouvons accepter l'idée qu'agir permet de faire avancer les choses, nous observons aussi que la confusion est forte entre "agir" et "atteindre". Et parfois, il est tentant d'investir dans la qualité et l'entretien du thermomètre, d'en améliorer la précision et la maîtrise de l'utilisation, d'en soigner la diffusion des mesures... tout en pensant améliorer le problème de température.
Je ferai souvent référence, dans mes prochaines chroniques, à une Dream Team avec laquelle j'ai eu le plaisir de collaborer durant quelques années. Lors de mon premier contact avec un de ses membres, j'ai refusé d'animer un événement dédié au repérage et à l'élaboration d'un plan d'action visant à éradiquer "les irritants" auxquels ils étaient confrontés. Ce refus a initié une passionnante collaboration. Lors de mon premier contact avec l'équipe, j'ai dû argumenter ma position. Après un court échange, j'ai été interpelé de la façon suivante : "d'accord, je crois que nous avons compris que nous ne sommes pas là pour régler les problèmes... mais alors, je me pose la question... à quoi servons-nous donc ?"