Cet article sur le courage a été rédigé, il y a bientôt 15 ans, par Véronique Chabanis, alors DRH d’une entreprise de premier plan dans le domaine de l’information financière. Il n’a pas pris une ride et nous confronte à certains aspects clés de la responsabilité de dirigeant.
Un grand éducateur accueillait à la rentrée de septembre 1930 ses promotions d’élèves de 6e par ces mots :
« …on a une fois dans sa vie l’occasion d’être héroïque, mais on a tous les jours l’occasion de ne pas être lâche… »
L’entreprise, confrontée aux exigences souvent contradictoires de ses différentes composantes -actionnaires, collaborateurs, clients -; exposée aux incertitudes générées par les multiples mutations de son environnement technologique, concurrentiel, organisationnel, culturel; contrainte à des évolutions brutales qui créent des flous dans les process de décision et l’attribution des domaines de responsabilités… est aujourd’hui le lieu où, tous les jours, nous avons l’occasion d’exercer notre courage.
Courage de creuser ce que dissimulent quelques signaux d’alerte, de souligner les défauts d’une solution qui semble convenir à tous, de reconnaître l’existence d’un désaccord… Ce courage-là est celui de la lucidité mais il n’est pas suffisant d’être conscient d’une difficulté, encore faut-il oser l’exprimer de façon constructive aux acteurs concernés pour en traduire les conséquences en terme d’action. A quoi sert d’exprimer avec vigueur, à déjeuner, à la cafétéria ou de retour à son bureau, ce que nous aurions aimé dire en réunion ou en entretien… « mais cela n’aurait servi à rien »… « pourquoi redire ce que j’avais déjà dit il y a 6 mois »… « ce n’était pas à moi d’intervenir »… « si c’est pour que ça me retombe dessus »… ?
Courage de ne pas compter uniquement sur soi-même, en demandant un avis, un feedback honnête sur son comportement, en reconnaissant ses limites ou dans un autre registre, en acceptant de déléguer une responsabilité importante avec les moyens associés -informations, assistance…- pour que l’autre réussisse… Ce courage-là est celui de la confiance et ne se concrétise que si l’on vise sincèrement à progresser et faire progresser les collaborateurs qui en montrent la volonté. N’est-il pas au final plus efficace d’avoir le courage de demander à bénéficier de l’aide de son manager ou d’un collègue expérimenté ou de l’accompagnement d’un coach pour dénouer une situation difficile ou surmonter ses faiblesses plutôt que de tenter - sans le recul nécessaire - de se débrouiller tout seul ? Lorsque nous sommes submergés est-ce parce que nous n’avons pas pris le risque de déléguer ou de partager la responsabilité de certains dossiers ?
Courage de décider face au risque ou dans l’incertitude, sans avoir pu collecter toutes les informations souhaitées, sans avoir pu peser les conséquences autant que nécessaire… A l’inverse, courage de ne pas décider malgré les pressions ou pour un simple effet « d’annonce ». Ce courage-là est celui de l’initiative et n’a de sens que s’il s’assortit du sens supérieur de la responsabilité « car la seule dignité de l’homme est d’assumer les conséquences de ses actes » nous rappelait le grand patron français François Michelin. Et il faut un réel courage pour prendre des décisions stratégiques et en assumer les conséquences dans un contexte général imprévisible. Mais il faut aussi du courage pour simplement prendre une décision qui ne peut attendre, sans avoir pu joindre son responsable pour obtenir son accord …
Courage de sortir du confort, de ne pas se contenter d’une situation existante satisfaisante mais de toujours préparer l’avenir, de repousser ses limites, de rechercher l’excellence… Ce courage-là est celui de l’ambition et il se nourrit de persévérance. Concevoir et lancer un nouveau produit quand les produits phares de l’entreprise se vendent encore bien, conquérir de nouveaux marchés alors qu’on connaît si bien ses marchés existants, constituent de réels actes de courage qui garantissent la pérennité de l’entreprise. Se priver de ce courage-là équivaut à se contraindre à des décisions de survie mise en œuvre dans l’urgence lorsque les produits phares se révèleront moins adaptés aux besoins, qu’une nouvelle concurrence apparaîtra, que les marchés se satureront.
Courage de la rigueur, rigueur que l’on s’impose à soi-même, rigueur que l’on exige de son entourage. Qu’il s’agisse du respect de l’engagement pris, de la règle posée, de la parole échangée, de l’équité… Ce courage-là est celui d’une forme de discipline qui nous permet de travailler ensemble, de dépasser nos individualités et nos modes de fonctionnement personnels pour atteindre une réussite… d’entreprise.
Alors, avec Aristote qui affirmait que le courage est la première vertu humaine puisque c’est celle qui rend toutes les autres vertus possibles, entraînons-nous mutuellement au courage dans notre quotidien pour être lucides et actifs dans la confiance partagée, pleins d’initiatives ambitieuses, persévérant dans notre recherche d’excellence pour assurer notre réussite aujourd’hui et demain. Voilà un beau programme de rentrée !
Véronique CHABANIS, 2006