Z comme… Zen
Par Frédéric Sos - mai 2021
"Nous devons absolument rassurer nos équipes"
« La situation est difficile : l'impact de nos campagnes est décevant, nos réseaux de distribution sont à la peine, les chiffres ne sont pas bons ; et pour couronner le tout, l'actionnaire s'inquiète : il n'a jamais été aussi exigeant en matière de reporting »
« Comment l'équipe de direction réagit-elle ? »
« Bien. Ils sont sur tous les fronts, avec un niveau d'implication incroyable. Ils sont très présents sur le terrain, renégocient ce qui peut l'être, travaillent sur les reforecasts, font des arbitrages sur les projets en cours… Mais je ne sais pas si nous allons tenir très longtemps à ce rythme : les journées sont très longues… »
« Et les équipes ? »
« Notre priorité est de les préserver. Mais nous sentons des signes d'inquiétude : ils prennent conscience des difficultés et commencent à se demander si nous allons y arriver… Nous devons absolument rassurer nos équipes ! »
« La situation est vraiment difficile ? »
« Ça me rappelle 2008 quand nous avions dû faire un plan social… C'est peut-être encore plus critique aujourd'hui. »
« Vous allez donc bien avoir besoin de la mobilisation de tous, non ? »
« Ça, c'est sûr ! »
« Pourquoi voulez-vous rassurer les équipes alors ? »
Ce dialogue récent avec un dirigeant dans une situation de crise pourrait tout autant se tenir dans un contexte de développement, ou de transition, dès lors qu'il provoque une augmentation de charge ou d'exigence. Pourquoi désamorcer alors un processus conduisant à la mobilisation ? Peut-être la réponse est-elle à trouver du côté de notre perception du stress.
Cette "maladie du siècle" (au fait, lequel ?) est "dénoncée" par les médias depuis plus de vingt-cinq ans. La revue Capital avait publié une étude en 2001 : 85% des cadres éprouvaient du stress dans leur vie professionnelle et estimaient que le niveau de stress avait augmenté au cours des 10 dernières années. Une étude de l'IFAS avait évalué son coût (absentéisme, baisse de productivité et dépenses de santé) à 10% du PIB. La volonté de l'éradiquer prend-elle sa source là ?
Dès le 19ème siècle, Darwin identifiait la peur comme un moyen de survie en mobilisant l'énergie de l'organisme pour faire face au danger. Au cours des années 30, Hans Selye met en évidence le "syndrome général d'adaptation", ultérieurement nommé stress. L'organisme, lorsqu'il est soumis à une situation nouvelle, développe des réactions pour y faire face, généralement en 2 temps :
- l'évaluation :
Face à une situation inconnue ou à l'imprévu, nous procédons instantanément à une double évaluation : cette situation présente-t-elle une menace ? Ai-je les moyens d'y faire face ?
Cette évaluation n'est pas seulement rationnelle, elle dépend de notre personnalité et de nos expériences antérieures. La perception d'une menace et/ou la crainte de ne pas pouvoir la gérer déterminent alors le déclenchement de la réaction de stress.
Par exemple, face à la charge de travail, une personne ressent le risque de prendre du retard. Or elle sait que le non-respect des délais lui a déjà été reproché. Il s'agit donc d'une menace. Le stress, qui se déclenche alors, l'encourage à trouver une solution. Si elle doute de sa capacité à délivrer ce travail dans les délais, le stress augmente encore. Lors de cette phase d'alerte, on peut observer des réactions émotionnelles comme l'inquiétude ou la colère. L'organisme libère des hormones visant à augmenter notre vigilance, notamment l'adrénaline. Cette hormone augmente le rythme cardiaque, ce qui permet d'oxygéner le cerveau et les muscles. Des aptitudes telles que la capacité d'attention et de concentration sont renforcées, la mémoire et la vitesse de réflexion augmentent… Autant de réactions favorisant la mise en place de réponses adaptées à la situation.
- La mobilisation des ressources :
Dans un second temps, l'organisme se mobilise pour agir : éliminer la source du stress ou s'adapter pour le supporter. Pour cela, il libère d'autres hormones, en particulier le cortisol, qui accroît la dépense énergétique en puisant dans les réserves de protides et de lipides pour les transformer en sucre, préparant ainsi l'organisme à "tenir le coup". En même temps, des endorphines procurent un certain détachement par rapport à la situation et permettent de prendre du recul par rapport aux émotions ressenties initialement. L'inquiétude ou la colère font place alors à l'excitation, à la joie de chercher des solutions et à la confiance dans le fait que l'on peut en trouver, d'autant plus que l'on a probablement décidé d'associer d'autres personnes à cette recherche, indispensables ressources rompant notre isolement. C'est la phase où notre créativité et notre énergie sont à leur maximum !
Jusqu'à ce stade, le stress est un agent stimulant qui nous "énergise" et nous connecte avec les ressources qui nous permettent de nous adapter aux changements.
En revanche, au-delà d'une certaine mesure, le stress nuit à la performance (cf. la courbe en "U" inversé de Yerkes et Dodson) et enclenche un processus délétère : l'organisme qui ne parvient pas à s'adapter finit par s'épuiser ; l'anxiété observée lors de la phase d'alerte dégénère en troubles anxieux (sensations d'oppression, douleurs musculo-squelettiques, troubles du sommeil, irritabilité, voire attaques de paniques et troubles cardio-vasculaires) ; le détachement ressenti en phase de résistance évolue en état dépressif (altération de l'humeur, fatigue chronique, érosion des défenses immunitaires,…). Le cercle vicieux est alors enclenché : sous pression, toute situation nouvelle devient menaçante, le danger est surestimé, notre capacité à y faire face sous-estimée…
Cette confusion entre stress et excès de stress est désastreuse. Elle conduit les managers à enclencher des mécanismes de compensation et de déresponsabilisation, gâchant alors l’apport de personnes qui, intelligentes et impliquées, auraient pu alimenter la performance, la réussite… et le niveau de motivation au sein de l'organisation. Pour nous mobiliser, nous avons besoin de défis, de paris, de challenges, même s'ils génèrent des doutes à certains moments. Ils sont de l'ordre de la mise en tension, constituant une condition de mise en mouvement. C’est l'excès de stress qui appartient au registre de la mise sous pression qui, au contraire, aboutit à la mise hors tension, à l'inhibition du mouvement, de l'action. L'ambigu "lâcher-prise", mantra simpliste, se montre pertinent dans certains contextes ; en revanche, il alimente le risque de désengagement, et se montre souvent contre-productif dans l'accompagnement de la performance et de la réalisation personnelle dont il se revendique pourtant.
Mais je m'aperçois à la fin de cette chronique, que je n'ai pas évoqué les pratiques par lesquelles les membres des équipes dirigeantes peuvent favoriser la mise en tension… ou au contraire provoquer une mise sous pression. Je tiens le sujet d'une prochaine chronique !..